Les organismes culturels et l’immobilier: conjuguer le projet artistique, territorial et financier
La conférence midi « Les organismes culturels et l’immobilier : conjuguer le projet artistique, territorial et financier » s’est tenue le mercredi 29 novembre 2017 au centre Urbanisation Culture Société de l’INRS à Montréal, avec visioconférences au centre de l’INRS à Québec ainsi qu’à l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC). Le podcast de cet événement est disponible pour écoute à partir de ce lien.
Cette table ronde a abordé la question de l’intégration des dimensions plurielles et complexes qui sous-tendent la mise en œuvre de projets immobiliers d’organismes culturels, projets entendus ici comme des relocalisations architecturales et / ou territoriales. La conférence a débuté par les présentations de trois expériences montréalaises.
Marie-Josée Jean (MJ Jean) a témoigné du projet d’immobilisation qui a permis à VOX, centre de l’image contemporaine, à Artexte et au RCAAQ de devenir propriétaires de leurs espaces dans le 2-22, un édifice culturel qui a vu le jour en 2012 dans le Quartier des Spectacles. La directrice du centre a partagé les difficultés de la démarche, notamment sa durée – qui s’est étalée sur une période de dix ans – ou encore les constantes révisions auxquelles les protagonistes ont dû s’ajuster. Ce projet ayant exigé une expertise de gestion et d’administration particulière, il a été l’occasion pour l’équipe de VOX d’acquérir et de développer de nouvelles compétences à l’interne. MJ Jean conclut que l’expérience a été positive pour l’organisme qu’elle dirige puisqu’elle a permis à VOX de tripler son espace de diffusion et de développer ainsi son envergure et son rayonnement, notamment au niveau international.
Pour sa part, Geneviève Turcotte (G Turcotte), codirectrice de L’imprimerie, centres d’artistes, a annoncé en préambule qu’elle ne pouvait pas encore évaluer l’impact du projet immobilier du fait de son caractère récent – moins d’un an. La codirectrice s’est consacrée à présenter la genèse de l’installation de ce centre d’artiste de production en arts imprimés, démarche initiée lorsque l’Atelier Graff s’est trouvé confronté à un problème de lieu et d’identité au début des années 2010. Alors qu’il était le plus ancien centre d’artiste canadien, l’équipe dirigeante a constaté à cette époque que l’organisme n’assurait pas le leadershirp que son statut de précurseur aurait pu lui conférer. D’où l’idée d’un projet d’immobilisation dans lequel l’organisme développerait « une maison des arts imprimés ». Confrontée à la « réalité financière », l’équipe de l’Atelier Graff a, par la suite, adapté ce projet en fonction de ce qui était réellement à sa portée. Le choix a été fait de rejoindre un des projets d’Ateliers créatifs Montréal (organisme dédié à la pérennisation des ateliers d’artistes) en devenant locataire à long terme d’un des ateliers gérés par cet organisme. L’augmentation du loyer a exigé que l’Atelier Graff repense l’ensemble du développement de ses services. Pour faire face à cette situation, il a fusionné avec un autre centre d’artistes, le Cabinet, un espace de production photographique dont les mandats et expertises sont complémentaires. Devenu L’imprimerie, centre d’artistes en arts imprimé, l’organisme s’est installé dans Hochelaga-Maisonneuve et s’attache à relever avec optimisme aux nombreux défis que ces transformations profondes ont engendrées.
Quant à Cécile Martin (C Martin), elle est venue partager l’expérience d’une organisation nomade. De 1992 à 2008 l’organisme Champ Libre s’est consacré à créer des expérimentations artistiques grâce à des actions in situ. L’organisme a choisi d’occuper des lieux différents tous les deux ans, autant pour leur activités quotidiennes de bureau que pour leurs actions artistiques. C Martin a rebondi sur des remarques faites dans les précédentes présentations et a notamment souligné la dimension administrative de ce type de démarche, nécessitant la rédaction de nombreux plans d’actions et plans stratégiques. Elle a également mentionné la nécessité qu’a eue l’organisme de s’adapter en permanence aux constantes évolutions qui avaient cours au fur et à mesure des projets. C Martin a conclu sa présentation en témoignant des rôles essentiels que les partenaires et financeurs ont eus dans la vie de Champ Libre.
À la suite des présentations s’est tenue une période d’échanges entre les participants et les présentatrices. Des questions ont abordé la mise en œuvre des collaborations avec d’autres acteurs du projet ou du territoire. Les réponses témoignent de la diversité des situations. Au 2-22, ce sont des organisations qui ont été à l’origine du projet (la vitrine culturelle, la radio CIBL) mais les collaborations se sont faites en fonction des occasions favorables. Ce qui est certain c’est que la démarche d’ouverture au public faisait partie intégrante de l’intégration au 2-22 (chaque participant devait en effet ouvrir une partie de son espace au public). Quant aux liens avec les populations locales, Marie-Josée Jean a rappelé que le 2-22 s’est inscrit dans un plan de revitalisation intégrée qui existait pour le carré Saint-Laurent. Toutefois, c’est plutôt le promoteur, la société de développement Angus, qui a suivi cette partie du projet. C’est aussi le constat qu’a dressé Geneviève Turcotte : le travail préparatoire d’intégration a été réalisé par le promoteur du projet immobilier le Sainte Cath, Ateliers créatifs Montréal. La codirectrice de L’imprimerie souligne que l’équipe dirigeante du centre est consciente des problématiques de gentrification de l’Arrondissement Hochelaga-Mercier-Maisonneuve. Le travail de l’organisme avec les acteurs du territoire est en train de s’amorcer, tant en direction des artistes résidents de l’arrondissement qu’avec les groupes communautaires ou autres. En ce qui concerne Champs Libres, l’intégration des besoins des populations était partie intégrante de la démarche. Lors de la mise en œuvre de chaque projet, une journée laboratoire, ouverte à l’ensemble des acteurs du territoire (travailleurs sociaux, etc.) était organisée.
Les échanges ont également largement porté sur les principaux défis rencontrés par ces organisations au cours de leurs démarches. De façon assez unanime, les intervenantes soulignent que la recherche de financement est « le nerf de la guerre » ainsi que l’expertise technique qui n’existe pas toujours à l’interne. Marie-Josée Jean précise que cela peut être d’autant plus difficile pour des organisations qui sont de « petites infrastructures » (au niveau des ressources humaines, des liquidités, etc.).
Il a également été question de l’enjeu de la pérennisation, c’est-à-dire de savoir comment les augmentations des coûts liés à ce type de projets ont des impacts sur les activités des organisations. Ces dernières ont dû s’adapter à cette situation en innovant : par exemple pour l’Atelier Graff, il s’est agi de fusionner avec un autre centre d’artiste, d’élargir le membership et de développer de nouveaux services. Geneviève Turcotte a souligné que cela a été un vrai changement pour le centre, car il a nécessité de penser en termes de coûts de revient, de fonds de roulement et aussi de réfléchir à de futurs partenariats avec l’industrie. Les financements hybrides privés-publics sont aussi une avenue qu’a empruntée Champs Libres. Quant à VOX l’organisme a lancé un nouveau service : l’organisation d’exposition jeunesse. Marie-Josée Jean a aussi précisé qu’il y a eu un effort supplémentaire à faire à l’interne pour la mise en marché de leurs expositions.
Enfin, les participantes ont été questionnées sur les démarches de concertation lors de la phase d’élaboration du projet architectural et des travaux. Il ne semble pas y avoir eu de concertations pour la dimension architecturale, ce qui a d’ailleurs été parfois regretté. Quant aux réunions de chantier, les situations sont contrastées; dans certains cas, elles sont jugées parfois trop prenantes alors que dans d’autres cas, on les aurait souhaitées plus nombreuses.
Cette conférence midi a ainsi été l’occasion de témoigner d’expériences de projets immobiliers vécues par des organisations artistiques montréalaises. Malgré la diversité des situations, des enjeux communs émergent : nécessité d’innover pour rendre viable le projet, perception d’opportunités et de risques spécifiques pour la pérennité des organismes, recherche d’expertises complémentaires en interne et en externe.
Organisation et animation par Mélanie Courtois, doctorante à l’INRS – Melanie.Courtois@ucs.inrs.ca