Diplomatie culturelle et institutions étrangères au Québec : comment exercer son influence?
La conférence midi « Diplomatie culturelle et institutions étrangères au Québec : comment exercer son influence ? » s’est tenue le mercredi 28 novembre 2018 au Centre Urbanisation Culture Société de l’INRS de Montréal.
Cette rencontre visait à approfondir la compréhension des manières dont s’exerce la diplomatie culturelle de nos jours, et ce, par l’entremise de trois exemples d’institutions établies au Québec et agissant comme opérateurs de l’action culturelle hors de leur pays d’attache, soit l’Institut Goethe, l’Institut culturel du Mexique et le Centre culturel marocain, tous basés à Montréal.
Madame Katja Melzer, directrice du Goethe Institut Montréal depuis 2012, a discuté du modèle de cette institution, de son histoire ainsi que des activités qui y sont proposées. Cet institut culturel de la République fédérale de l’Allemagne, enregistré comme association à but non lucratif, développe chaque année, en accord avec le ministère des Affaires étrangères, des stratégies pour chaque région du monde où il est implanté. Parmi ces stratégies, trois axes sont toujours présents, soit la langue, la culture et l’Allemagne. C’est ainsi que l’Institut Goethe promeut la connaissance de la langue allemande à l’étranger, crée des collaborations culturelles avec les différents pays où il existe et cherche à donner une image d’ensemble de l’Allemagne, en véhiculant des informations sur sa vie tant culturelle, politique que sociale. Parmi l’éventail d’activités de l’institution, madame Melzer a souligné les rencontres et échanges entre artistes, créateurs et intellectuels de différents domaines tels que la danse, le cinéma et les arts médiatiques. Enfin, le Goethe Institut mise sur des partenariats entre milieux éducatif et culturel et des collaborations autour de sujets d’actualité comme l’engagement citoyen, les nouvelles technologies et, tout spécialement dans le cadre montréalais, l’intelligence artificielle.
https://www.goethe.de/ins/ca/fr/index.html
Monsieur Alejandro Estivill, consul général du Mexique à Montréal, est aussi responsable de l’Institut culturel du Mexique, une structure qui a ouvert ses portes en 2000. Connue jusqu’en août 2016 sous le nom d’Espacio México, cette institution fait partie du Consulat général du Mexique à Montréal et d’un réseau international de centres culturels affiliés au Ministère des Affaires étrangères du Mexique. L’Institut vise à promouvoir une image positive, dynamique, créative et compétitive du Mexique. Il possède une salle multidisciplinaire où s’organisent diverses activités du programme de promotion culturelle du Consulat pour renforcer les liens avec les communautés mexicaines et québécoises. Plusieurs évènements des dernières années se sont d’ailleurs faits en collaboration avec divers partenaires québécois. Lors de son tour de parole, Monsieur Estivill a aussi traité des caractéristiques du Mexique qui en font une « puissance culturelle », prenant pour exemples la gastronomie, les expressions culturelles telles que la Fête des Morts et le Mariachi, ou encore la tequila et les sites archéologiques. Il a ainsi souligné que le Mexique utilise la culture comme un outil de diplomatie, avec pour objectif « d’être pertinent par son passé et de le demeurer pour l’avenir ». En conclusion, il a parlé des difficultés à faire rayonner le Mexique au-delà de son image traditionnelle, voire stéréotypée ; ainsi, tout le défi est d’atteindre un équilibre entre ce que les gens conçoivent comme « culture mexicaine » et les expressions artistiques contemporaines qui émanent de ce pays.
Monsieur Jaâfar Debbarh, directeur du Centre culturel marocain (Dar Al Maghrib) depuis 2015, a d’abord tracé un portrait de la situation historique et culturelle ayant favorisé l’avènement d’un programme du Royaume du Maroc piloté par le Ministère des Marocains résidant à l’étranger et visant la création de plusieurs centres culturels tels que celui à Montréal. Par ce vaste projet à portée mondiale, il s’agit de favoriser la diplomatie culturelle et le rayonnement du Royaume du Maroc, dans toutes ses facettes civilisationnelles et modernes. Le Centre culturel marocain à Montréal, qui a été inauguré en 2012, est d’ailleurs le premier en son genre à avoir vu le jour. Sa principale mission, telle qu’expliquée par M. Debbarh, est l’accompagnement des ressortissants du Maroc dans leur intégration à la société québécoise et canadienne. À cet égard, la culture est considérée comme jouant un rôle fondamental, permettant le maintien de liens avec le pays d’origine et l’établissement de ponts avec la société d’accueil, dans une optique « d’enracinement sans déracinement ». Ainsi, le Centre déploie une importante offre d’activités culturelles (cinéma, conférences, arts plastiques, ateliers, cours de langue et de culture, ateliers de danse et de musique) qui vise en outre à présenter l’image d’un Maroc en mouvement, riche d’une culture aux multiples facettes. Cette offre permet par la même occasion de faire la promotion de la culture, des valeurs et du patrimoine du Maroc auprès des Québécois et des Canadiens en général. Elle est rendue possible grâce à de nombreux partenariats avec des acteurs et regroupements de toutes sortes (festivals, associations, salons du livre, etc.) et de toutes origines (marocaine, africaine, québécoise et canadienne). En ce sens, l’un des objectifs du Centre culturel marocain est de faire la promotion du vivre ensemble, de constituer un espace d’échanges, de dialogue et de connaissance de l’autre à Montréal.
http://www.lecentreculturelmarocain.ca
La période de questions du public a permis de creuser des aspects peu développés par les invité.e.s, par exemple l’influence que pourraient exercer les orientations gouvernementales de chaque pays dans la programmation de ces trois institutions (notamment en matière de financement), ou encore la manière de dépasser les idées préconçues sur chacun des pays représentés. Les réponses des panelistes ont fait référence à la relative indépendance politique que leurs institutions possèdent quant à la réalisation de leurs activités, tout comme aux défis avérés lorsqu’il s’agit de dépasser des stéréotypes et de mettre de l’avant une réalité plus contemporaine : autant l’Allemagne n’est-elle plus celle de la Deuxième Guerre mondiale, mais bien un pays européen démocratique ; autant le Maroc est-il un Royaume désormais bien actif sur la scène internationale ; autant le Mexique constitue-t-il un pays moderne, économiquement attractif pour les investisseurs.
Le public s’est aussi interrogé, en ce qui concerne le cas marocain, sur cette notion de « vivre ensemble » mise de l’avant par le Centre culturel. À cet effet, le directeur a souligné qu’il s’agit d’une position cohérente avec la réalité canadienne, soit une nation multiculturelle. Ainsi, le Centre souhaite ouvrir ses portes non seulement à la communauté marocaine, mais aussi à toutes les communautés présentes à Montréal, tout en agissant en quelque sorte comme une vitrine du continent africain. Quant au cas du Mexique, l’enjeu de la langue a ressurgi, à savoir comment se fait-il que l’Institut culturel du Mexique ne mette pas de l’avant l’apprentissage de l’espagnol, une langue qui possède une grande influence linguistique et culturelle dans le monde. Il apparaît que ce sont d’autres structures comme l’Université Nationale Autonome du Mexique qui détiennent la responsabilité de cet enseignement en Amérique du Nord, retirant ainsi cette dimension du champ d’action de l’Institut culturel du Mexique.
En somme, cette table ronde a fait émerger plusieurs pistes de réflexion pour mieux saisir la diplomatie culturelle telle qu’exercée par des institutions actives hors de leur pays d’attache. Le sujet mérite cependant d’autres développements, et ce, en combinant les points de vue d’acteurs tant universitaires, politiques qu’administratifs.
Organisation et animation par Mariana Castellanos, candidate au doctorat en administration publique à l’ENAP, Caroline Marcoux-Gendron, candidate au doctorat en études urbaines à l’INRS, et Gabriela Morales, candidate au doctorat en science politique à l’Institut d’Études Politiques de Grenoble et doctorante invitée à l’INRS.