L’art dans l’espace public et la fête : quels bilans aux lendemains des célébrations à Québec et à Montréal?
La conférence midi « L’art dans l’espace public et la fête : quels bilans aux lendemains des célébrations à Québec et à Montréal? » s’est tenue le mercredi 28 février 2018 aux centres Urbanisation Culture Société de l’INRS de Montréal et de Québec, par visioconférence. L’enregistrement intégral de la table-ronde est disponible en balado diffusion en cliquant ici.
La rencontre a permis de revenir sur le faste que le domaine de l’art dans l’espace public a connu au Québec ces dernières années, notamment grâce aux grandes célébrations du 400e anniversaire de la fondation de Québec et du 375e de Montréal. Ce fut l’occasion de mettre en perspective les nombreuses et ambitieuses réalisations artistiques auxquelles le public aura été exposé; de prendre une distance critique pour mieux saisir l’impact de ces nombreux projets sur la pratique de l’art dans l’espace public, mais aussi sur le travail des artistes qui sont au cœur de ces projets.
La conférence a débuté par des réflexions sur des cas montréalais et québécois.
Suzanne Paquet, professeure d’histoire de l’art à l’Université de Montréal, s’est penchée sur la question de l’image en relation à l’art public, et ce, à travers un projet de legs permanent et trois événements temporaires. D’abord, Paquet a abordé le schème urbanistique des entrées de ville, qu’elle a exemplifié par le projet Bonaventure, qui comprend une œuvre monumentale de Jaume Plensa. Les entrées de ville sont des symboles entre autres de la notoriété de la ville, qui serait augmentée par la notoriété des artistes participant à leur création. S’adressant à un public global, les entrées de ville établissent leur notoriété par ses images qui circulent; leur popularité se mesurant, comme l’a développé Paquet, en photographies partagées et disséminées. La professeure a ensuite abordé ces manifestations temporaires qui créent l’événement et qui n’existeraient pas sans médiatisation. Ici, les photographies prises par le public et circulant dans les réseaux sociaux participent à la publicité (au sens de rendre publiques) ces œuvres. Évoquant la Balade pour la Paix et KM3 qui ont eu lieu à Montréal, puis Passages insolites à Québec, Paquet a souligné que ces manifestations incitent le public à partir, avec leur caméra, à la chasse à l’œuvre. Elle a argumenté que les œuvres d’art public doivent en quelque sorte se plier à une « indispensable photogénie »; la photographie étant devenue le moyen privilégié pour le visiteur de faire une expérience ludique de l’art. Du coup, la fête serait un moment opportun pour mettre de l’avant des œuvres prédisposées pour être photographiées et mises en circulation.
http://histart.umontreal.ca/repertoire-departement/vue/paquet-suzanne/
Formant le collectif Projet EVA, les artistes Étienne Grenier et Simon Laroche ont présenté Cortège, l’œuvre numérique sur support mobile qu’ils ont créée pour la promenade Fleuve-Montagne, l’un des legs du 375e. D’entrée de jeu, ils ont réagi à la question de l’image développée par Paquet : leur œuvre proposant une expérience sociale via une application, elle ne donne donc « rien » à voir, ce qui les a amené à consacrer un budget important aux communications et à la promotion (production de vidéos et de photos, relations de presse). Les artistes ont évoqué les éléments de la commande d’art public qui leur ont été soumis : ils devaient proposer une œuvre sur support mobile qui devait inciter à la marche et créer du lien social, dans le cadre de l’aménagement d’un projet urbain à portée éminemment touristique. Leur expérience la plus marquante du centre-ville datant des grèves étudiantes de 2012, ils ont décidé d’ancrer leur propos dans une lecture politique du site, qui est pour eux caractérisé comme un lieu de pouvoir, d’argent et de confrontation où, comme ils ont pu l’observer, plusieurs groupes se rassemblent, défilent, manifestent (d’où le titre de l’œuvre). Si leurs recherches portent sur les interactions avec le public et sur les moyens d’influencer ses comportements, ils expliquent qu’avec Cortège, ils ont voulu organiser une « partie de chasse» au centre-ville. L’œuvre relève essentiellement du game art et cherche à transformer l’espace social et les interactions que les citoyens ont avec leur environnement. Simon Laroche a brièvement parlé de sa collaboration avec Ying Gao dans le cadre de la production d’une œuvre pour KM3 : il a reconnu que les impératifs entourant la création d’une œuvre pour un évènement qui s’inscrit dans un contexte de fête sont différents des paramètres de production d’une œuvre dans le cadre d’un legs permanent.
Depuis Québec, Vincent Roy, directeur général et artistique d’EXMURO arts publics, a commencé par situer son propos sur l’art dans l’espace public après la fête : alors que le milieu artistique montréalais est en quelque sorte dans une période de postpartum, celui de Québec peut mieux apprécier l’impact des célébrations qui ont eu lieu il y a dix ans. Roy rappelle qu’il a fondé EXMURO en 2007, à un moment où il y avait peu d’initiatives en art public, dans l’optique de rapprocher l’art du public de la rue. Les fêtes du 400e, et notamment ses grands concerts populaires, ont selon lui redonné une fierté aux Québécois. Produits dans le contexte des fêtes, l’œuvre temporaire Le Club du collectif BGL et l’aménagement de la promenade Samuel-de-Champlain ont marqué l’imaginaire et, au final, mis la table pour l’art dans l’espace public, en ce sens que ces actions ont été facilitantes pour son organisme. La Ville de Québec a même depuis, selon ce qu’il a observé, misé sur l’art public temporaire dans sa signature. Le 400e aura ainsi créé un engouement auprès des résidents de Québec : les élus sont aujourd’hui convaincus de l’impact positif de l’art public. Revenant sur les propos de Suzanne Paquet sur l’image, il a rappelé que l’évènement Passages insolites, organisé par EXMURO a lieu dans les quartiers touristiques très fréquentés de la capitale (Vieux-Port, place Royale, Petit Champlain). Reconnaissant que les photos des œuvres présentés durant la manifestation sont nombreuses, il a énoncé se questionner sur la spectacularisation de l’art : la programmation 2018 de Passages insolites, plus engagée, a été développée en tentant compte de ce phénomène.
Les échanges avec le public ont mis de l’avant certains enjeux actuels entourant la pratique de l’art dans l’espace public; enjeux qui ont été amplifiés par le contexte des célébrations.
L’enjeu de la spectacularisation ou encore de la marchandisation de l’espace public par l’art, dans un contexte où l’on s’adresse au public de la rue, a largement retenu l’attention. Si plusieurs participants ont reconnu l’importance de s’adresser à un large public afin de stimuler son intérêt pour les arts visuels, le danger serait celui du nivèlement par la base. L’artiste Rose-Marie Goulet s’est montrée préoccupée de l’impact des nouvelles technologies sur la redéfinition de la pratique de l’art public, et plus précisément sur la production et la consommation des œuvres. Michel Depatie, qui a fondé l’évènement Paysage éphémère, a mentionné la place grandissante du ludique dans certaines expositions temporaires présentées dans les espaces publics à Montréal.
Dans cette perspective s’inscrit l’enjeu du marketing territorial, amené par la doctorante à l’Université de Montréal Souad Larbi Messaoud, et auquel l’art dans l’espace public participerait. À ce sujet, les artistes de Projet EVA ont indiqué que la mise en marché de la promenade Fleuve-Montagne a informé la commande d’art public; Suzanne Paquet a constaté qu’il existe des exemples marquants qui deviennent des recettes en terme d’art public et de marketing territorial; Vincent Roy a expliqué que la prise et la dissémination de photographies d’œuvres de Passages insolites en nombre important sur des sites Internet ont contribué à établir les retombées positives en terme d’image de marque.
La question de l’effet « wow », s’est inquiétée l’historienne de l’art Lise Lamarche, est désormais ce qui semble être recherché et attendu en art public. Suzanne Paquet a précisé que dans plusieurs de ces manifestations, sous prétexte de spectacle, ce qu’on présente comme étant de l’art public tire souvent vers le design. Étienne Grenier a souligné que, dans le discours que l’on entend dans la sphère publique et politique, on confond ce qui relève de l’art et ce qui relève du design, et qu’il est nécessaire de les distinguer pour que le travail des artistes soit mis de l’avant. Vincent Roy a noté que le public de Québec reconnait de plus en plus l’art public temporaire et que sa réceptivité a évolué.
Un autre enjeu, soulevé par le professeur Fernand Harvey à Québec, a porté sur la distribution territoriale de l’art public dans les centres urbains (où il y a concentration d’œuvres) et dans les quartiers périphériques : cela pourrait éventuellement expliquer la résistance par rapport à l’art public dans certains milieux. Michèle Picard, du Bureau d’art public de la Ville de Montréal, a expliqué que les interventions dans les arrondissements sont importantes et qu’il y aura plusieurs réalisations dans les prochaines années. Plusieurs participants ont rappelé des projets réalisés dans le cadre du 375e qui ont eu lieu dans les arrondissements et qui ont été moins publicisés : Jean de Julio-Paquin a nommé Viaduc 375, projet créatif d’urbanisme tactique et de créativité, fruit d’une collaboration d’organismes du quartier; François-Xavier Tremblay, qui a œuvré à la Société du 375e, a parlé de l’appel de projets de quartiers dont il a été responsable, qui a visé la sélection des évènements par des comités locaux d’évènements ancrés dans la communauté.
Organisation et animation par Laurent Vernet, titulaire d’un doctorat en études urbaines de l’INRS, chargé de cours en études urbaines et en arts visuels à l’UQAM, ainsi que commissaire au Bureau d’art public à la Ville de Montréal. – vernetlaurent@hotmail.com.