Un patrimoine mal-aimé : l’avenir des friches industrielles, militaires et pyrotechniques à Montréal
« Un patrimoine mal-aimé : l’avenir des friches industrielles, militaires et pyrotechniques à Montréal»
Cette conférence midi s’est déroulée le mercredi 24 avril 2019 au centre Urbanisation Culture Société de l’INRS de Montréal. Les réflexions des spécialistes ont porté sur le thème du « Patrimoine mal-aimé » en lien plus particulièrement avec les anciens sites militaires. Celles-ci ont eu pour objectif d’approfondir la compréhension des caractéristiques de cette catégorie de sites dont la patrimonialisation semble plus malaisée et qui posent de nombreux défis.
Serge Bernier a été le premier à prendre la parole. Ex-directeur au département Histoire et Patrimoine au ministère de la Défense nationale du Canada, il explique le contexte difficile dans lequel évoluent les musées militaires par le fait que cette institution ne considère pas avoir pour vocation de produire du culturel. L’histoire de ces musées débute au même moment que s’amorce sa carrière de spécialiste du patrimoine. En effet, c’est à lui que la Défense nationale commande en 1990 une étude portant sur les collections militaires. Ses observations sur le terrain révèlent que le bénévolat est à la base du fonctionnement quotidien des 65 musées militaires recensés à l’époque (en 2019, ils sont au nombre de 69). On constate aussi l’absence d’appui de plusieurs commandants responsables de ces musées, surtout dans les unités de la réserve où la plupart de ces musées est concentrée, ainsi que le manque d’entretien. Ces musées sont largement méconnus notamment parce qu’ils sont souvent peu accessibles au public, les unités de la réserve ne les ouvrant généralement que les mardis soir entre 19h30 et 21h, lors d’occasions spéciales et durant les mois d’été. De plus, le nombre de bénévoles a considérablement diminué avec le vieillissement des générations de vétérans qui ont tenu ces musées depuis leur création. Par ailleurs, ces musées sont fréquemment logés dans des édifices patrimoniaux dont l’entretien est à la fois difficile et coûteux et qui ne répondent pas aux normes actuelles des Forces canadiennes. Selon monsieur Bernier, le regroupement de ces musées montréalais sur un même site, et sur un site à caractère non militaire, permettrait de corriger plusieurs de ces problèmes.
Guy Vadeboncœur, ancien conservateur en chef et directeur du Musée Stewart à Montréal, a par la suite présenté le cas de ce musée de l’Île Sainte-Hélène. Initialement créé en 1955 en tant que Musée militaire de Montréal, ce musée s’est doté par la suite d’une vocation historique et patrimoniale plus large. C’est l’occasion pour M. Vadeboncœur de revenir sur ce patrimoine militaire méconnu des Montréalais, et sur une fonction omniprésente sur cette île depuis plus de deux siècles. L’île, aujourd’hui composante du Parc Jean-Drapeau et gérée par une société paramunicipale suite à l’exposition universelle de 1967, est maintenant surtout connue pour la tenue de festivals et autres événements temporaires, occasionnant certains débordements et des problèmes de cohabitation qui découlent de ces usages. Initialement occupée par les peuples iroquoiens du Saint-Laurent, l’île fut nommée par Samuel de Champlain en l’honneur de son épouse, lors de son voyage d’exploration de la Huronie en 1611. En 1818, le gouvernement britannique acquiert le site pour en faire une île-entrepôt fortifiée en vue de libérer le secteur du Vieux-Montréal de ses installations militaires (poudrières, magasins et entrepôts d’armes, casernes) au profit de la population civile. La création du Musée militaire de Montréal en 1955 par le philanthrope David Macdonald Stewart verra l’agrandissement progressif des collections et des installations. D’abord confiné à l’espace du blockhaus, le musée s’étendra progressivement à tout l’arsenal. Saisonnière les premières années, l’institution ouvre ses portes sur une base annuelle à partir de 1975. Connue à partir de 1976 sous le nom de Musée de l’Île Sainte-Hélène, l’institution adopte son nom actuel de Musée Stewart en 1984, suite au décès de son fondateur. Des travaux de restauration et de mises aux normes des installations sont entrepris à partir de 2007 suite à la citation de l’Île Sainte-Hélène comme site du Patrimoine par la Ville de Montréal et plus tard par le gouvernement Québec. Ces travaux impliquent la réorganisation majeure des espaces et des fonctions muséales et conduisent à l’inauguration en 2011 d’un Musée entièrement renouvelé. Ces travaux évalués à près de 8 M $ impliquent des contributions du ministère de la Culture et des Communications du Québec, de la Ville de Montréal et du Musée Stewart. L’année 2013 est marquée par la fusion du Musée Stewart et du Musée McCord qui, sous peu, seront regroupés sous un même toit. Ceci implique également que le Musée Stewart quitte ses installations de l’île Sainte-Hélène. Selon M. Vadeboncœur, il serait logique que les aménagements muséologiques de haute qualité développés entre 2008 et 2011 conservent leur vocation. Le site ne serait-il pas propice pour accueillir le regroupement des musées militaires, auquel faisait précédemment allusion M. Bernier?
https://www.stewart-museum.org/fr/
Le dernier intervenant, Monsieur Alain Gelly, historien à Parc Canada et membre du Conseil d’administration de l’Association québécoise du patrimoine industriel (AQPI), a d’abord proposé une synthèse de la problématique des arsenaux, du patrimoine militaire et de leur sauvegarde abordée par les premiers panélistes. Il a par la suite présenté le cas de l’Arsenal (ou désormais Nouvelles-Casernes) considéré comme un joyau patrimonial de l’histoire militaire de la ville de Québec. Il a notamment insisté sur le fait que l’histoire proprement militaire de ce bâtiment, considéré comme témoin privilégié de la période coloniale française et de l’histoire militaire du Québec, ne soit pas véritablement mise en valeur. De 1882 à 1964, cet arsenal sera en effet le seul à produire en continu des munitions militaires (cartouches et obus). Qui plus est, le personnel de cet arsenal formera celui de l’ensemble des usines d’obus durant la Première Guerre mondiale. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, une dizaine de milliers d’employés y produira près de deux milliards de cartouches de tous types. Après avoir été l’objet d’une vaste restauration, monsieur Gelly souhaite que sa future vocation intègre non seulement l’héritage militaire de la Nouvelle-France à nos jours, mais aussi qu’on souligne l’importance de cet héritage industriel.
Les questions de l’assistance ont permis de mettre en évidence des enjeux spécifiques aux musées militaires. Selon monsieur Bernier, les problèmes de ces musées tiennent beaucoup à leur difficulté à exister en tant qu’objet culturel de plein droit. Compte tenu de leur lien de dépendance avec la Défense nationale, il semble difficile de conjuguer vocation militaire et vocation culturelle. Cette question de la vocation des bâtiments est récurrente pour les trois interventions. M. Gelly souligne à cet égard que l’Arsenal de Québec n’a pas encore trouvé de vocation, alors même que 20 millions de dollars ont été investis dans la restauration de l’infrastructure. La vocation se pose aussi pour l’arsenal de Sainte-Hélène, puisque le musée Stewart sera bientôt déplacé au centre-ville. Que faire de ces installations « haut de gamme » développées sur l’île Sainte-Hélène une fois que le musée aura été déplacé au centre-ville ? Selon monsieur Vadeboncœur, il est difficile de convertir ce bâtiment à d’autres fonctions, d’autant plus qu’il est fortement marqué par son histoire militaire.